Histoire du vignoble du coteau du Céou - vin de Domme

Par Jean-Jacques Jarrige.

 

La présence de vignoble en Périgord méridional depuis l’époque gallo-romaine est mentionnée par plusieurs auteurs (L.-F. Gibert, 1997-1998). Au 13e siècle, le Comte de Toulouse percevait la « vinée » sur certaines parties du territoire. Au 14e et 15e siècles, les guerres et les épidémies de peste dépeuplent le pays qui commencent à se repeupler à la fin du 15e grâce à l’arrivée de colons venus souvent de loin qui signent des contrats avec des
notables locaux pour implanter des vignes. Les archives des notaires et des ecclésiastiques livrent des indications sur les contrats de plantement (épierrement et plantation réalisés par le preneur en échange d’un salaire) ou de complantement (travail rémunéré par partage de la récolte) entre propriétaires et viticulteurs sur les paroisses de Bouzic, Daglan, Domme, Saint-Martial (L.-F. Gibert, 1997-1998).
Au 18e siècle, la carte dite de Belleyme fournit le premier document cartographique qui donne un aperçu global
de l’extension du vignoble (https://archives.dordogne.fr/r/42/carte-de-belleyme/).

 

Extrait de la carte de P. de Belleyme levée entre 1763 et 1785 (d’après ADD 24) – les zones de vignobles sont représentées en violet)

 

La carte montre que le vignoble était très présent en particulier sur le causse calcaire sur les communes de Florimont, Bouzic et Daglan et sur Cénac, Domme et Saint-Martial-de-Nabirat. Progressivement, la vigne s’est étendue pour devenir l’unique culture complétée par des prés et des landes destinés au fourrage des bêtes de trait.

Le vin est transporté par gabarres vers Bordeaux à partir des ports de Castelnaud et Domme qui donne son nom à ce vin du « haut-pays ». Le commerce semble florissant et fait vivre, outre les vignerons, un ensemble de professions : journaliers, tonneliers, feuillardiers, charrons, négociants… Les autorités prélèvent des contributions : la dîme calculée sur le rendement pour le clergé et la rente seigneuriale proportionnée aux surfaces. L’autorité locale décidait de la date du « ban des vendanges », c’est-à-dire le jour à partir duquel on
pouvait débuter les vendanges, dans un souci de recherche de qualité du vin.
Le commerce de ces vins du « haut-pays » qui font concurrence aux vins de Bordeaux est très réglementé : acquits, certificats, intervention de jaugeurs, marquage des barriques… Les bordelais essayent d’y faire obstacle par divers moyens. Les recours les plus fréquents concernent les capacités des fûts (200-230 litres en Périgord contre 225 litres à Bordeaux), tromperie sur l’origine du vin par transfert de barriques ou fragilité des cerclages (aubier en Gironde et feuillard de châtaigniers en Périgord). En 1772-1773, une saisie d’un bateau et de sa cargaison déclenche une longue bataille juridique qui est gagnée par les cités périgourdines représentées par le comte Louis de Beaumont (L.-F. Gibert, 1998).
L’analyse de documents d’archives à Bordeaux et en Bretagne a permis à Mme Mainet-Delair (2007, 2023) de montrer que les vins de Domme étaient envoyés aux 17e-18e siècles depuis Bordeaux vers les Isles d’Amérique (Antilles), le Canada et Brest qui était le port de la Marine Royale. Le vin de Domme était apprécié par les
intendants de la Royale car il était réputé « bien tenir la mer ». Au 19e siècle les exportations étaient encore florissantes comme le montre les envois de vin de Domme vers l’Indochine (J. Lachastre, 2015).
Au début du 19e siècle, la levés du cadastre napoléonien (1836-1844) fournissent une indication très précise de l’importance des vignes sur nos territoires. En effet, il s’agit d’un relevé parcellaire et un symbole indique la culture pratiquée dans chaque parcelle (https://archives.dordogne.fr/archives-numerisees/cadastre-
napoleonien?arko_default_6076ac83d95c4--ficheFocus=
). Une revue rapide permet de constater que suivant les communes entre un quart et les deux tiers des surfaces sont plantées de vignes.

 

Extrait du cadastre napoléonien de la commune de Daglan. Les vignes sont en violet (d’après ADD 24)

 

En 1834, une enquête, menée par l’ingénieur C. Brard à la requête du Préfet de la Dordogne, demande à chaque maire du département des informations sur l’économie de sa commune et, entre autres choses, sur les usages concernant la culture de la vigne. On y apprend que les cépages les plus courants étaient le Pied-de-Perdrix (côt ou malbec), le Rougeâtre, l’Enrageat (jurançon noir), le Bouillet et la Folle Blanche ; les vignes étaient cultivées basses, c’est-à-dire sans carassonnes, taillées gobelet (https://archives.dordogne.fr/a/39/enquete-de-cyprien-brard/?arko_default_6076b57d926e7--ficheFocus=).
C’est durant ce siècle que furent édifiés la majeure partie des constructions en pierre sèche à partir des matériaux extraits lors des travaux agricoles et qui servaient d’abris pour les outils, les bêtes de bât et les hommes pour se restaurer à l’abri de la pluie ou du soleil et parfois y dormir.

L’économie de la région reposait sur la culture et le commerce du vin. Le recensement de Daglan, fait en 1861, indique que la commune comptait 1458 habitants dont 265 cultivateurs (la distinction « vigneron » n’existe pas), 101 domestiques et travailleurs (aides à la culture) et 32 tonneliers. Le nombre important de tonneliers s’explique par le fait que le vin était commercialisé dans un tonneau et qu’il fallait donc chaque année refabriquer
de nouvelles futailles. Si on imagine que chaque propriétaire vendait entre 1 et 5 barriques, c’est entre 250 et 1000 barriques qu’il fallait produire chaque année ! Les maires de Daglan et de Saint-Martial s’activent pour faire améliorer les axes de communication l’un vers Saint-Cybranet, l’autre vers Gourdon pour favoriser le transport
des futailles.
Mais cette période faste va être interrompue par l’arrivée de plusieurs maladies qui touchent la vigne, en particulier le phylloxera.

Évolution de la population des communes de la vallée et des coteaux du Céou depuis la révolution (J.-J. Jarrige, 2017)

 

À partir de 1850, les vignes françaises sont touchées par plusieurs maladies « importées » d’Amérique du Nord : oïdium, mildiou, black-rot, maladies cryptogamiques pour lesquelles des remèdes sont trouvés, tel la célèbre « Bouillie bordelaise » crée par Alexis Millardet, et le phylloxera causé par l’invasion de pucerons sur les racines de la plante. Aucun traitement ne permet d’arrêter ce dernier fléau qui va détruire progressivement le vignoble des coteaux du Céou, à partir de 1865, comme l’ensemble du vignoble français. Cet événement marque le début de l’exode rural sur notre territoire qui est accentué par les pertes humaines de la Première Guerre mondiale et les effets de la mécanisation de l’agriculture.
Une commission et des serres départementales sont créées pour étudier le phénomène et trouver des remèdes.
La solution finalement retenue est la plantation de cépages américains résistants à la maladie. Des ventes de plants s’organisent mais les viticulteurs ne sont pas satisfaits du goût de ces nouveaux vins. Aussi, des greffes et des hybridations entre plants américains (Vitis Riparia) et français (Vinis Vinifera) sont réalisées. Une partie du vignoble est ainsi reconstituée mais les volumes produits n’ont rien à voir avec les précédents.

 

Publicité parue dans L’Union Sarladaise du 23 janvier 1883

 

Un jalon plus récent de l’histoire du vignoble est donné par le recensement national du vignoble français décrété en 1953. En Dordogne, le résultat est publié en 1963 (Ministère agriculture, 1963). Les vignobles sont en faire valoir direct et les vins destinés à la consommation familiale. Les vignobles les plus étendus sont par ordre décroissant sur les communes de Daglan, Domme, Campagnac-lès-Quercy, Saint-Martial-de-Nabirat et Saint-
Pompon. On peut évaluer le déclin du vignoble sur un demi-siècle en comparant sur la commune de Daglan ces données avec les déclarations faites en 1911 : le nombre de producteurs est passé de 244 à 104 et la superficie plantée de 176 à 64 hectares. P. Soulillou, dans sa monographie de la commune de Florimont-Gaumier,
mentionne que la vigne couvrait 255 ha sur le territoire de la commune avant le phylloxera et ne couvre que 20 ha dans les années 1960. L’inventaire donne également des informations sur :
- les années de plantation des vignes On voit que Daglan est la commune qui déclare le plus de vignes plantées avant 1914 et a fait l’objet des plus gros efforts de plantation, avec Campagnac-lès-Quercy, entre 1915 et 1929. Les plantations sont ensuite plus
nombreuses sur les communes de Saint-Martial-de-Nabirat, Cénac-et-Saint Julien et Domme.
- les cépages présents 70 cépages différents sont identifiés dans le canton de Domme. Les pieds de raisins noirs les plus fréquents sont
le Jurançon rouge, l’Abouriou et le Grand Noir de la Calmette (les trois représentent 28% du vignoble). Les blancs les plus présents sont le Noah, le Sémillon et l’Auxerois Rupestris. À noter que le Noah fait partie des cépages américains interdits dans les années 30 avec le Jacquez, l’Othello, l’Herbemont et l’Isabelle !

 

Principaux cépages au milieu du 20e siècle (Ministère Agriculture, 1963)

 

La comparaison entre les déclarations des maires lors de l’enquête de Cyprien Brard en 1834 qui nous donne une « photographie » du vignoble pré-phylloxera et l’inventaire des années 1950 constitué par des plants post-phylloxera montre que :

(1) la diversité des cépages a explosé en passant de moins de dix cépages présents dans les parcelles à plus de soixante-dix

(2) le Pied-de-Perdrix cité en premier par tous les édiles pour la qualité de ses vins en 1834, n’arrive qu’en douzième position en 1950, sous les noms de Malbec ou Auxerois (3% du vignoble).


La culture de la vigne a été relancée dans les années 1990 et s’est traduite par de nouvelles plantations (environ 20 hectares) par des viticulteurs regroupés en coopérative auxquels se sont ajoutés des récoltants indépendants, la création d’une IGP « Vin de Domme » et la construction d’un chai à Moncalou. Les cépages présents sont le Cabernet Franc, le Merlot, le Malbec et Pinot Noir et en blanc Chardonay, sauvignon, Sémillon et Viognier (https://vindedomme.com).

 

Références :
* L.-F. Gibert, 1997 : Le vin de Domme, Soc. Art et Histoire de Sarlat et du Périgord Noir, 71, p. 131-140
* L.-F. Gibert, 1998 : Le vin de Domme, Soc. Art et Histoire de Sarlat et du Périgord Noir, 72, p. 4-14
* J.-J. Jarrige, 2017 : Le Céou, une rivière, un pays, 320 p., ed. ARKA
* J.-J. Jarrige, 2023 : Conférence donnée à l’occasion de l’Épopée Dordonha, 10 avril 2023 à Cénac
* J. Lachastre, 2015 : 1859, les vins de Saint-cybranet s’exportent à Saïgon, Soc. Art et Hist. en Périgord Noir, 142, p. 100-104
* N. Mainet-Delair, 2005 : Vins et négociants d’Aquitaine vers la Bretagne finistérienne, 173 p., ed. Coiffart
* N. Mainet-Delair, 2023 : Conférence donnée à l’occasion de l’Épopée Dordonha,10 avril 2023 à Cénac
* Ministère de l’Agriculture, 1963 : Cadastre viticole du Département de la Dordogne, Imprimerie Nat., 419 p., Archives départementales de la Dordogne, BIB A 836
* P. Soulillou, 2015 : Chroniques d’une commune occitane, 1960-1985, ed. du Céou, 280 p.

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