La résilience des cabanes en pierres sèches

Par Patrick Dupuy

 

 

Murailler amateur, suffisamment expérimenté pour avoir restauré des dizaines de cabanes en pierre sèche depuis plus de trente ans sur le Causse périgourdin, je me suis interrogé sur les principes de construction qui pouvaient expliquer leur si étonnante stabilité, et plus particulièrement la résistance incroyable à l’écroulement des voûtes à encorbellement, qui ne sont en réalité que des empilements
savants de pierres plates. J’en ai tiré quelques règles totalement empiriques déduites de mon expérience de restaurateur et plus récemment de constructeur de cabanes en pierre sèche.
En effet, en 2021-2022, avec l’aide d’une petite équipe de quatre volontaires passionnés, j’ai reconstruit entièrement pour la première fois deux cabanes rondes relativement grandes (4x4m) qui avaient été entièrement détruites, dont il restait seulement une base circulaire.
La résilience de ces petites constructions paysannes semble tout à fait surprenante en l’absence de tout liant de type ciment ou mortier, le poids des pierres constituant le seul liant vertical qui maintient
l’ensemble de la structure.
J’ai eu l’occasion très souvent de constater que, même ensevelies sous des arbres ou des branches énormes suite à une tempête comme celle de 1999, la plupart des cabanes résistent à l’écroulement.
Souvent seules les toitures en lauzes sont en partie détruites, mais les murs et les voûtes internes sont presque toujours quasiment intacts, ce qui n’est pas sans surprendre. Quand un mur a pris un
choc, il se produit une simple brèche (éboulement d’un pan de mur vertical) sans que le reste de la construction soit déstabilisé. Lorsque une ou plusieurs pierres de la voûte ou du mur sont effritées
par le gel, on peut facilement les remplacer sans que le reste s’écroule.
Mais le plus remarquable et le plus étonnant reste la solidité incroyable de la voûte à encorbellement.
Cette solidité est telle que non seulement la voûte supporte son propre poids sans s’écrouler, mais elle fait de plus office de charpente pour soutenir la lourde toiture en lauzes qui s’appuie sur elle.
On s’aperçoit en réalité que la stabilité et la durabilité des cabanes en pierre sèche reposent sur l’intrication de deux catégories de règles :
1 - d’une part des règles globales qui concernent la répartition des charges dans l’ensemble de la construction, et qui visent par exemple à empêcher les murs de s’écarter ou la voûte de s’affaisser
2 - d’autre part des règles locales qui concernent les relations de proche en proche des pierres entre elles ou des assises successivement installées.
C’est en fait l’imbrication du global et du local qui procure cette si étonnante solidité, mais cette imbrication va de pair paradoxalement avec une relative indépendance de la structure interne (voûte
à encorbellement) par rapport à la structure externe (mur + toiture).
Parmi les règles globales (en dehors des règles générales de maçonnerie comme le croisement des joints :
1 - la hauteur du mur de la cabane ne doit pas dépasser 150 cm et son épaisseur doit être au minimum
de 75 à 80 cm

2 - l’encorbellement intérieur doit débuter soit à partir de la base, soit au maximum à partir d’un mètre à compter du sol.
3 - la pente de la toiture doit être au minimum d’environ 45°
4 - concernant l’encorbellement, le débord des assises sur l’assise sous-jacente doit être d’environ 4-5 cm, et il peut être soit constant de façon à former un cône régulier, soit croissant à mesure qu’on
monte de façon à former une ogive ou un dôme qui s’aplatit vers le haut. Mais dans tous les cas, comme le précise Christian Lassure, la hauteur de la voûte interne doit être de 1,2 fois la largeur de la
base de la cabane.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

photo de P. Dupuy

 

Parmi les règles locales, qui concernent la stabilité de la voûte à encorbellement :
1 - le calage précis de chaque pierre dans les trois directions est d’une importance cruciale, car c’est
lui qui procure une cohésion d’ensemble à la voûte. Le calage latéral (avant / arrière et droite / gauche) est particulièrement important, car il fait office de liant dans le plan horizontal, le liant dans le plan
vertical étant assuré par la pesanteur.
2 - il ne faut jamais installer une assise sur une assise sous-jacente qui est instable
3 - il faut mettre en place de temps à autre une pierre grosse et lourde positionnée en boutisse (perpendiculairement à la voûte) pour stabiliser les couches inférieures instables, surtout quand ces dernières sont constituées de petites pierres plus légères.
4 - l’inclinaison des pierres de la voûte vers le bas et le dehors (entre 5 et 15°) doit être impérativement respectée. Elle est souvent obtenue en interposant une ou deux petites cales sous la partie interne de la pierre. Cette inclinaison légère permet d’orienter une partie de la charge vers le mur et de décharger ainsi la voûte.
5 - le remplissage de l’espace vide entre la toiture externe et la voûte interne doit se faire non pas avec de la grenaille jetée en tas, mais avec de petites pierres que j’appelle des « bloqueurs », qui ont
une forme grossièrement conique (en coin) et qui viennent se caler avec précision dans les interstices.


Parmi tous ces paramètres, un des éléments les plus importants me semble être le calage de chaque pierre prise isolément, car c’est lui qui assure une stabilité dans les trois dimensions de l’espace,
laquelle est encore augmentée par la rugosité du matériau calcaire. Ce calage relève d’un savoir- faire qui ne s’acquiert qu’avec une longue habitude, comme pour c’est le cas pour toutes les techniques
artisanales ou artistiques. Les pierres étant posées telles quelles sans être taillées (pierre « crue »), chaque pierre doit trouver sa place dans la construction, à la façon d’un puzzle géant. Sauf qu’ici, on n’a pas le droit à l’erreur : il y a toujours un risque d’écroulement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo de P. Dupuy

 

Ceci dit, la technique de la construction en pierre sèche, et plus particulièrement la technique de l’encorbellement, constitue un mode de construction à la fois simple et solide qui utilise un matériau
gratuit, souvent réutilisable plusieurs fois. A la fois très isolant, protégeant de la chaleur l’été et du froid en hiver, mais aussi de la pluie, le mur en pierre sèche abrite aussi toute une petite faune faite
de petits rongeurs, d’insectes, de reptiles, d’araignées, voire même d’oiseaux.


Quant à la valeur esthétique des murets et des cabanes dans le paysage, elle n’est plus à démontrer, et elle constitue un des arguments précieux pour encourager leur protection et leur restauration.

 

Périgueux, le 15/10/2023

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